Pour la population des cadres, la classification change fondamentalement dans la nouvelle convention collective. Alors qu’elle était basée sur la valorisation de l’expérience, elle bascule vers une valorisation de l’emploi. Cette révolution aura sur le long terme un impact négatif considérable sur la rémunération d’une large frange de la population des salariés de la branche, dont ceux de Lectra.
Cette évolution négative n’est pas immédiatement perceptible. L’entrevoir demande un travail d’analyse des mécanismes conventionnels actuels et futurs (voir nos précédents articles sur le dispositif en vigueur pour les cadres, pour les non-cadres, et sur la nouvelle convention de la métallurgie), une connaissance sur le long terme de la politique salariale de son entreprise (pour nous de Lectra) et la prise en compte de l’effet du marché du travail.
A Lectra, concernant l’effet sur le long terme du mécanisme conventionnel actuel, le constat est sans appel. Fin 2021, 37% des cadres 218 jours en position I et II étaient proches du minimum conventionnel, contre 2% seulement des non-cadres. De ce constat, il ne faut pas conclure trop vite que les cadres étaient bien plus mal rémunérés que les non-cadres.
1- La politique salariale de Lectra est identique pour ces deux populations : augmentations générales et individuelles.
2- Jusqu’il y a peu, le marché du travail n’était pas favorable à ces deux populations.
La différence tient uniquement à l’évolution automatique du coefficient tous les 3 ans chez les cadres. Si leur rémunération est proche des minima, c’est que les minima évoluent favorablement chez les cadres, plus que chez les non-cadres. Pour ces derniers, seuls la prime d’ancienneté et un changement de coefficient tous les 10 ans (par un accord d’entreprise) évitent une stagnation de la rémunération tout au long d’une carrière.
Stagnation de la rémunération tout au long d’une carrière : voilà ce qui guette demain la population cadre des salariés de la métallurgie. Dans la nouvelle convention, en l’absence de toute valorisation de l’expérience, sans même une prime d’ancienneté, une large part de la population des cadres sera concernée par une stagnation salariale car la seule valorisation de l’emploi ne permet pas une hausse des rémunérations. Seule l’évolution professionnelle, c’est-à-dire le changement d’emploi, y est valorisée. Parce qu’il n’y a pas de place pour tout le monde pour des évolutions professionnelles (responsable, chef d’équipe, directeur, etc.), parce qu’il n’y a pas de désir chez chacun d’une évolution de son emploi, la nouvelle convention promet une stagnation salariale pour la plus grande part des salariés.
Dans ce nouveau contexte de stagnation salariale conventionnelle, l’état du marché du travail deviendra le facteur prépondérant dans l’évolution des rémunérations. Pour voir leur rémunération augmenter, les salariés seront amenés à chercher des emplois (même similaires) dans d’autres entreprises. Ce mécanisme aura des effets sur le turn-over dans l’entreprise, plus ou moins prononcé suivant la portance du marché du travail. Typiquement, et depuis deux ans, le marché est porteur dans les métiers du numérique. Le turn-over à la R&D Lectra a été multiplié par 4 et des compétences rares et longues à construire ont quitté l’entreprise. Cet effet, dans le contexte de la nouvelle convention, sera plus fréquent et prononcé.
Dans ce nouveau paysage dessiné par la nouvelle convention, il devient nécessaire de faire évoluer la politique salariale de Lectra. Bonne chose, elle a été renforcée depuis deux ans, justement du fait du turn-over. Elle a été portée à inflation+2% de la masse salariale, contre inflation+1% depuis des années. Dans cette politique, l’augmentation générale vient corriger les effets de l’inflation, le reste (2% de la masse salariale, seulement 1.5% cette année) est consacré à des augmentations individuelles basées sur le mérite. Cette année, Daniel Harari nous a annoncé qu’elles concernaient 15% des salariés. Cette vision élitiste offre très peu de chances d’évolution salariale à l’essentiel de la population. Même si le management devait faire “tourner” le mérite, la stagnation sera ressentie par le plus grand nombre, et son lot d’incompréhension qui vient avec.
Nous pensons qu’il nous faut absolument venir corriger l’élitisme de la politique salariale de Lectra, la convention ayant refermé la perspective d’une valorisation de l’expérience. Nous pensons qu’au sein de la nouvelle politique salariale (inflation+2%) nous devrions consacrer 1% à la valorisation de l’expérience et 1% aux augmentations individuelles telles que nous les connaissons. Cet équilibre est dans l’intérêt mutuel des salariés et de Lectra.